Imaginez la carte postale parfaite. Un village médiéval du sud de la France. Des pierres dorées par le soleil. Un château majestueux qui domine une rivière. Le ciel est bleu, les gens sourient. C’est l’image même du bonheur tranquille. Ce village, c’est Bruniquel. Et cette carte postale, le réalisateur Robert Enrico l’a prise, l’a regardée, puis l’a retournée pour écrire au dos l’une des histoires les plus sombres et violentes du cinéma français. Ce film, c’est Le Vieux Fusil. L’histoire d’un paradis transformé en enfer.
Le récit est d’une simplicité brutale. Nous sommes en 1944, à Montauban. Julien Dandieu est chirurgien. C’est un homme bon, un pacifiste convaincu. Il voit la guerre se rapprocher. Pour protéger sa femme Clara et sa fille Florence, il les envoie se réfugier dans leur château familial. Un havre de paix, pense-t-il. Quelques jours plus tard, il les rejoint. Mais la quiétude a laissé place à l’horreur. Une division SS a pris possession des lieux. Elle a massacré sa famille. Le monde de Julien bascule. Le médecin qui passait sa vie à sauver des gens va la passer à la prendre. Il retrouve le vieux fusil de son père. Et la chasse commence.
Le choix de Bruniquel est un coup de génie. Enrico n’a pas voulu d’un décor sinistre. Il a filmé la barbarie en plein soleil. La beauté du château et du village rend la violence encore plus insoutenable. Le mal n’est pas chez lui ici. Sa présence est une anomalie, une souillure. Le château devient alors le troisième personnage principal. Ce n’est plus un refuge, c’est un labyrinthe. Julien connaît chaque passage secret, chaque recoin. Le lieu de son bonheur devient l’arme de sa vengeance. Il n’est plus la victime. Il est le fantôme, le prédateur. Il se fond dans les murs qui l’ont vu grandir pour éliminer, un par un, les bourreaux de sa famille.
Cette histoire n’est pas née de rien. Elle est hantée par un drame bien réel. Le massacre d’Oradour-sur-Glane. Robert Enrico et son scénariste Pascal Jardin ont transposé cette atrocité historique dans le cadre fictionnel de Bruniquel. Le film n’est donc pas qu’un simple récit de vengeance. Il est un cri de rage face à une blessure qui ne se refermera jamais. C’est ce qui lui donne son poids terrible. Et pour Bruniquel, l’impact a été unique. la population qui a joué les figurants ne sont probablement plus, mais la mémoire reste. On ne vient pas ici comme à Bergues pour rire. On vient pour la beauté du site, bien sûr.
Mais il est désormais impossible de dissocier ses vieilles pierres du chef-d’œuvre de Enrico. Le film a légué au château une mémoire. Une mémoire de cinéma, certes, mais qui parle d’une douleur bien réelle.Philippe Noiret et Romy Schneider sont inoubliables. Leurs quelques scènes de bonheur au début du film sont une parenthèse de lumière pure. Elles rendent la suite d’autant plus sombre. Le Vieux Fusil est un film qui vous prend aux tripes. Il montre comment le plus pacifique des hommes peut devenir le plus implacable des chasseurs. Et il rappelle que les plus beaux endroits sur terre peuvent être les témoins des pires horreurs. Bruniquel est toujours un village magnifique. Mais dans le silence de son château, on croira toujours

Film :Le vieux fusil
Sortie : 1975
Réalisateur : Robert Enrico
Acteurs Principaux : Philippe Noiret, Romy Schneider, Jean Bouise
Genre : Drame, Thriller, Guerre