J’ai écrit récemment un article où je m’inquiétais du financement des petits festivals et m’inquiétais de voir que le bénévolat était parfois leur seule possibilité de survie. Une réaction m’a interpellé, mettant en avant, l’aspect génial du bénévolat. Il n’en fallait pas plus pour que je me plonge sur le sujet.
Je me suis demandé qui étaient vraiment ces bénévoles. Pas les stars, pas les réalisateurs. Eux. Les visages que tu croises partout sans jamais vraiment les voir lorsque tu sillonnes un festival.
Alors, j’ai fait ce que je fais quand une idée me taraude : j’ai cherché. Je suis tombée sur quelques articles plus ou moins récents, des témoignages. Et là, j’ai compris que ce n’était pas juste une impression. Ce n’est pas anecdotique, c’est une véritable « armée des passionnés ». Plus de 300 000 en France, chaque année (tout genre de festival confondu), qui sont le pilier d’événements comme le Festival Lumière ou même le géant Hellfest. Sans eux, tout s’effondrerait, tout simplement.
Au fil de mes lectures, je suis tombée sur des portraits qui m’ont vraiment touchée. Des bribes de vie qui en disent long. Laisse-moi te raconter.
Les visages de l’ombre
Il y a Léa, 21 ans (1), étudiante en ciné. Pour elle, être bénévole à Lussas, le festival du film documentaire, c’est un pèlerinage. Elle y va pour étoffer son CV, bien sûr, mais surtout pour toucher du doigt ce monde qui la fascine. Son truc à elle, c’est l’accueil en salle. Ça peut paraître simple, mais ça veut dire qu’elle peut s’asseoir pendant la projo, pas loin du réal’, et écouter les débats qui suivent. Le soir, elle file au bar, le cœur battant du festival, et c’est là que la magie opère. Un soir, elle se retrouve à discuter avec un réalisateur dont elle étudie le travail pour son mémoire. Plus un cours, mais un vrai échange. C’est ce genre de « moment précieux » qui la conforte dans son choix de vie.
Puis il y a Michel, 68 ans (2), jeune retraité. Après une vie de travail, il craignait un peu le vide. Le Festival Lumière à Lyon, c’était une façon de rester actif, de s’investir. Il est devenu chauffeur pour les invités. Mission discrète mais essentielle : il faut connaître la ville par cœur, être ponctuel, courtois. Ce qui le passionne, ce n’est pas de croiser des stars, mais d’être le premier contact, d’entendre les conversations sur les films à l’arrière de sa voiture. Son plus beau souvenir ? Avoir réussi à détendre une jeune réalisatrice tétanisée par le trac avant la projection de son premier film, juste en lui parlant de la ville. Pour lui, c’est une seconde jeunesse.
Et enfin, Sofia, 35 ans (3). Le jour, elle est gestionnaire administrative. Mais sa vraie vie, elle l’organise autour des festivals. Ses congés, son budget, tout y passe. Elle est ce que j’appellerais une « bénévole professionnelle ». Elle enchaîne Cinélatino à Toulouse, le FIFDH à Genève, le festival de comédie à Liège. Elle ne le fait plus pour le CV, mais pour les « aventures humaines ». Elle retrouve les mêmes visages, cette communauté nomade avec qui elle partage des discussions sans fin sur les films de la journée. Une nuit à Lyon, elle s’est retrouvée à danser à côté de Quentin Tarantino sur l’air de Pulp Fiction. Tu imagines la scène ?
La taxe sur la passion
Mais en creusant, une réalité un peu plus rêche a fait surface. Un truc qui grince. Pour être bénévole dans certains grands festivals, comme à la Semaine de la Critique à Cannes, il faut pouvoir se payer le voyage, le logement et les repas. On pourrait appeler ça une « taxe sur la passion ». Ça veut dire que si tu n’as pas le soutien de tes parents ou des économies, la porte des coulisses se referme un peu. Le bénévolat devient une sorte de privilège, et ça opère un filtrage socio-économique à l’entrée. Ça m’a fait réfléchir. La passion, d’accord, mais à quel prix ?
De l’autre côté de l’écran
Ce qui est sûr, c’est qu’une fois que tu as fait ça, tu ne vois plus jamais un festival de la même façon. Tu passes de « consommatrice » de films à « actrice » de l’événement. Tu vois la mécanique, les nuits blanches des équipes, le stress d’un fichier vidéo qui ne se lance pas dix minutes avant la séance. Le glamour s’estompe un peu, c’est vrai. Mais il est remplacé par un respect immense pour le travail humain, pour l’ingéniosité et la résilience de cette communauté qui rend tout ça possible.
Le film n’est plus juste un film. C’est l’histoire d’un réal’ que tu as croisé la veille au bar, les doutes d’une actrice que tu as conduite à la gare, les années de galère d’un producteur. Ton regard s’affine, ton amour pour le cinéma devient plus profond, parce qu’il est ancré dans le réel.
Finalement, ces bénévoles ne sont pas juste des « petites mains ». Ils sont la preuve que le cinéma est avant tout une aventure collective. Alors la prochaine fois que les lumières s’éteignent, on aura peut-être une pensée pour eux. Pour ces centaines de milliers de passionnés qui, dans l’ombre, sont peut-être la véritable âme du spectacle.
Sources :
1 . Nos étudiants sont bénévoles sur deux célèbres festivals bordelais