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Il était une fois dans les Vosges

Oubliez les plaines du Far West et les saloons poussiéreux. En 1965, la plus belle des conquêtes de l’Ouest a eu lieu dans l’Est de la France. Les cowboys ne portaient pas de Stetson mais des casquettes en laine, et leur or, c’était le bois des sapins. Les diligences étaient des camions chargés de grumes, et le shérif, c’était la loi du plus fort. Cette épopée, ce western vosgien qui sent la sciure et la sueur, c’est Les Grandes Gueules. Un film immense, taillé à la hache dans le cœur d’une forêt aussi magnifique qu’impitoyable.

L’histoire est simple et solide comme un chêne. Hector Valentin, un brave type un peu paumé joué par Bourvil, hérite de la scierie familiale. Un « haut-fer », comme on dit là-bas. C’est une mécanique ancienne, hydraulique, typique des Vosges. Le décor n’est pas juste un décor ; c’est le sujet. La scierie est en piteux état, et les notables du coin n’attendent qu’une chose : qu’Hector vende pour une bouchée de pain. Mais contre toute attente, il décide de se battre. Pour relancer la machine, il fait un pari fou. Il embauche comme bûcherons des types en réinsertion, dont Laurent et Mick, deux anciens taulards incarnés par la force tranquille de Lino Ventura et la carrure de Jess Hahn.

Ce qui rend ce film si puissant, c’est son authenticité. Robert Enrico n’est pas venu planter une histoire artificielle dans un joli paysage. Il est venu filmer une région, un métier, une âme. Le tournage s’est déroulé à Vagney et dans ses environs, au cœur du massif vosgien. La fameuse scierie du film, le Haut-Fer de la Hallière, est devenue un lieu de pèlerinage. Les forêts que l’on voit ne sont pas des figurantes ; elles sont le personnage principal. On sent leur poids, leur silence, leur dureté. Enrico a engagé de vrais bûcherons du coin pour jouer leur propre rôle. Quand on voit la précision et le danger de l’abattage d’un arbre, rien n’est simulé. Cette vérité donne au film une force documentaire qui transcende la fiction.

D’ailleurs, la meilleure preuve que cette histoire n’est pas qu’une bobine de film rangée sur une étagère, c’est qu’elle vit encore. Le lien est si fort que soixante ans plus tard, la mémoire est intacte. Fin juin 2025, la commune de Vagney célèbre encore et toujours ses « Grandes Gueules » pour le soixantième anniversaire du tournage. Trois jours de fête. Ça vous donne une idée de l’empreinte laissée par le film. On n’organise pas un tel barnum pour un simple film. On le fait pour une légende, pour une histoire qui fait partie des murs, des arbres et du cœur des gens d’ici. C’est la preuve que le cinéma, parfois, fait mieux que représenter un territoire : il en devient l’emblème.

Et puis, il y a le miracle du casting. Mettre face à face Bourvil et Ventura. L’un, icône de la comédie populaire, l’éternel gentil un peu naïf, trouve ici l’un de ses plus beaux rôles dramatiques. Son personnage d’Hector Valentin n’est pas un faible. C’est un homme doux qui se découvre une volonté de fer. Face à lui, Lino Ventura, le roc, le dur à cuire du cinéma français. Son personnage de Laurent est un homme qui ne parle pas beaucoup, mais dont chaque regard, chaque silence pèse une tonne. Il ne protège pas Hector par contrat, mais par loyauté, par un code de l’honneur qui ne s’écrit nulle part. Leur amitié, improbable et taiseuse, est le cœur battant du film.

Les Grandes Gueules n’est pas juste un film sur des bûcherons. C’est une aventure humaine sur la seconde chance, sur la dignité qu’on trouve dans le travail et sur la méfiance de la communauté face à ceux qui sont différents. C’est l’histoire d’hommes qui, rejetés par la société, décident de créer la leur, au milieu des bois. Le film a laissé une empreinte indélébile sur la région, non seulement en la magnifiant à l’écran, mais aussi en célébrant son savoir-faire et ses traditions. Il a rappelé à toute la France que les plus belles histoires de pionniers ne se passent pas toujours de l’autre côté de l’Atlantique. Parfois, elles se cachent simplement au détour d’une route forestière, dans les Vosges.

Les Grandes gueules

Film :Les Grandes gueules
Sortie : 1965
Réalisateur : Robert Enrico
Acteurs Principaux : Lino Ventura, Bourvil, Marie Dubois, Michel Constantin
Genre : Comédie dramatique

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