Introduction : Le Cinéma sous les Étoiles, une Promesse Tenue
Chaque été, un paradoxe culturel fascine l’industrie cinématographique dans un petit village de Haute-Corse. Le Festival du Film de Lama transforme un village de 160 habitants, sans salle de cinéma permanente, en rendez-vous international reconnu pour son exigence artistique¹. Cette contradiction apparente fait en réalité la force de l’événement : il réconcilie excellence cinématographique et convivialité authentique. Les projections se vivent « sous le regard des étoiles »², offrant une expérience « totale, nocturne et éblouissante, intime et collective, tel qu’il avait jadis été imaginé et tel qu’il ne devrait jamais cesser d’être »⁴.
Du 26 juillet au 1er août 2025, la 31ème édition rend hommage à l’actrice Emilie Dequenne, décrite comme une « étoile amie du festival » qui a « incarné au cinéma des femmes sublimes, fortes et engagées »⁵. Ce choix révèle l’âme du festival et ses valeurs humanistes.
L’histoire de Lama commence par un « pari fou »¹, un « rêve devenu réalité »⁶ né dans un « lieu improbable »⁶. Cette insistance sur l’improbable n’est pas anodine : elle forge l’identité narrative du festival. En assumant l’audace de son existence, l’événement construit un récit héroïque. Une petite communauté rurale réussit, par sa seule passion, à créer un événement culturel reconnu bien au-delà de la Corse. Le festival transforme ses faiblesses apparentes – isolement géographique, taille modeste – en forces narratives. Il ne programme pas seulement des films : il raconte l’histoire d’un succès collectif, une utopie concrète qui attire un public en quête d’authenticité.
Chapitre 1 : Genèse d’un Rêve Corse – Histoire et Fondation (1994-2004)
La création du Festival de Lama en 1994 répond à une stratégie réfléchie de développement territorial face à une crise socio-économique majeure.
1.1 Un Acte de Résilience Culturelle : Le Contexte de la Création
Au début des années 1990, Lama fait face à un avenir incertain. Le déclin de l’économie agropastorale et un incendie dramatique en 1971 menacent la survie du village. La population est tombée sous les 100 habitants¹. L’isolement géographique aggrave le déclin démographique. C’est dans ce contexte que naît l’idée d’un festival de cinéma, dans le cadre d’une démarche plus large de réhabilitation et de développement touristique.
Mathieu Carta, futur président fondateur, et Simon Baccelli, maire du village, portent ce projet audacieux¹. Leur vision est double : créer un événement phare pour dynamiser le village ET offrir un accès à la culture cinématographique à une population rurale éloignée des salles¹. Le cinéma devient un « lien social », un « remède à l’isolement » et un « levier indispensable à une économie sociale et solidaire »¹. Organiser un festival dans un village sans salle de cinéma, loin des grands axes, relève de la « gageure ».¹
1.2 Les Premières Bobines (1994) : Une Ambition Européenne et Rurale
La première édition propose une vingtaine de films⁷. Le choix d’une programmation « européenne et rurale »⁶ est significatif. Il révèle la volonté de ne pas s’enfermer dans le folklore local mais de connecter les préoccupations du monde rural corse au cinéma d’auteur européen. Dès le départ, le festival affirme une double ambition : être profondément ancré dans son territoire tout en s’ouvrant sur le monde.
1.3 Le Virage Numérique (2004) : Une Révolution Technologique Pionnière
En 2004, sous l’impulsion du directeur technique Jean-Baptiste Hennion, Lama « bascule en tout numérique »⁶, Cette transition positionne l’événement comme précurseur. Le festival devient le « 1er festival après Cannes à basculer en projection numérique »⁶, une affirmation forte qui redéfinit son image.
Cette innovation a trois conséquences majeures. D’abord, elle donne au festival une crédibilité industrielle immédiate. En garantissant des conditions de projection conformes aux standards internationaux (2K, puis 4K)⁴, Lama peut prétendre aux avant-premières prestigieuses. Ensuite, ce saut technologique crée un avantage compétitif en forgeant l’image d’un festival innovant. Le contraste entre cadre rustique et équipement de pointe devient une signature. Enfin, en anticipant la disparition de la pellicule 35mm, les organisateurs assurent la viabilité logistique du festival.
L’équipe technique, « reconnue internationalement tant à Cannes qu’auprès des grands studios Hollywoodiens »⁶, attire désormais des professionnels comme Alex Lutz ou Pierre Salvadori⁶, Le réalisateur corse Thierry De Peretti résume cette réussite en qualifiant la projection à Lama de « la plus belle au monde, la meilleure techniquement ».⁴
Chapitre 2 : L’ADN du Festival – Identité, Croissance et Impact
Le Festival de Lama réussit une croissance exponentielle sans perdre son âme. Il développe un modèle unique où exigence artistique, convivialité populaire et engagement culturel corse se nourrissent mutuellement.
2.1 Une Croissance Exponentielle et Maîtrisée
Les chiffres témoignent d’une trajectoire impressionnante. La programmation passe d’une vingtaine de films à environ 70 par édition⁶, La fréquentation connaît une « progression permanente », franchissant les 10 000 spectateurs sur la semaine lors de la 25ème édition en 2018⁶, Face à l’affluence, les organisateurs instaurent des doubles séances après la projection principale de 21h⁶, Le festival a un impact démographique tangible : la population permanente du village passe de moins de 100 à 160 habitants¹, inversant la tendance au déclin.
2.2 L’Alchimie de Lama : La Convivialité comme Principe Actif
La « convivialité » revient comme un leitmotiv dans toutes les descriptions². Cette convivialité n’est pas un slogan mais une organisation consciente. Son incarnation emblématique : le rendez-vous matinal « sous le platane » centenaire. Chaque matin, les équipes des films projetés la veille rencontrent le public dans une ambiance détendue et accessible.³ Ce dialogue direct, sans hiérarchie, rompt avec le protocole rigide des grands festivals internationaux.
Le festival se déploie sur quatre sites, chacun ayant sa propre identité :
- La Piscine : Amphithéâtre de 700 à 900 places en plein air, légèrement à l’écart du village. Lieu des grands événements, avant-premières nationales et séances spectaculaires « entre ciel et terre ».³
- L’Umbria : Placette intime de 110 à 150 places au cœur des maisons du village. Écrin réservé au cinéma d’auteur, aux films « art et essai » et aux compétitions de courts-métrages.³
- U Mercatu : Espace de 70 à 100 places dédié au jeune public, aménagé avec coussins et oreillers dans une ruelle. Ambiance décontractée pour initier les plus jeunes au plaisir du cinéma.³
- A Casa di Lama : Petite salle vidéo climatisée d’une cinquantaine de places pour les documentaires en journée. Elle assure une continuité de programmation.⁴
2.3 Au-delà de la Semaine : Un Écosystème Culturel et Éducatif
Le festival étend progressivement son action au-delà de sa semaine estivale. L’association mène des actions d’éducation à l’image toute l’année, notamment auprès des publics scolaires. Elle leur offre l’opportunité de réaliser des courts-métrages sous la direction de professionnels⁶.
Plus récemment, le festival lance sa première résidence d’écriture de scénario⁴. Cette initiative, centrée sur l’insularité, marque une mutation fondamentale. D’un rôle de simple diffuseur de films, il évolue vers un rôle d’initiateur et d’accompagnateur de la création. En déclarant vouloir « accompagner les projets dès leur création et pendant leur phase d’écriture et de développement »⁴, l’association intervient en amont de la chaîne de production. Cette montée en gamme renforce sa légitimité dans l’industrie cinématographique et ancre sa spécialisation méditerranéenne. Elle crée un cercle vertueux où les films développés en résidence à Lama pourraient être projetés lors des éditions futures.
2.4 Une Place à Part : Comparaison avec d’autres Festivals Ruraux.⁴
Les Rencontres Cinéma de Gindou, dans le Lot, partagent des points communs avec Lama : origine rurale, projections en plein air dans un « Cinéma de Verdure »¹¹, engagement dans l’éducation à l’image¹². Cependant, Lama se distingue par son avance technologique historique, sa spécialisation thématique claire autour de l’insularité méditerranéenne (compétition de courts-métrages et résidence d’écriture)⁸, et une programmation axée sur les avant-premières nationales de films très attendus⁶, Gindou privilégie plutôt les grandes rétrospectives consacrées à des cinéastes (comme Mathieu Amalric en 2024)¹⁵ et des programmations thématiques (« la fête » en 2024)¹⁶.Cette comparaison souligne comment Lama cultive une identité unique qui allie prestige des avant-premières et ancrage thématique fort.
Chapitre 3 : L’Édition 2025 – Une Célébration du Cinéma Engagé et Diversifié
L’édition 2025 du Festival du Film de Lama démontre sa maturité à travers sa programmation, ses ateliers et ses hommages.
3.1 Une Édition sous une Nouvelle Étoile : Hommage à Emilie Dequenne
Dédier la 31ème édition à l’actrice belge Emilie Dequenne constitue un acte éditorial fort⁵. Le festival ne salue pas seulement une carrière mais célèbre une « étoile amie » qui a « incarné au cinéma des femmes sublimes, fortes et engagées »⁵. Le choix des mots est primordial : il ne s’agit pas d’un hommage neutre mais d’une prise de position. Le festival s’aligne avec un cinéma social, féministe et profondément humain. En choisissant une actrice révélée par les frères Dardenne dans Rosetta, Palme d’Or 1999, Lama se connecte explicitement à une tradition de cinéma européen réaliste et socialement conscient. Cet hommage communique puissamment les valeurs du festival, privilégiant les récits de femmes complexes et les réalités sociales fortes.
3.2 La Programmation Complète : Un Voyage Cinématographique Stratégique
La programmation 2025 est un modèle d’équilibre curatorial, un mélange conçu pour satisfaire cinéphile exigeant, grand public et familles². L’étude révèle plusieurs axes stratégiques :
Les Têtes d’Affiche Internationales : La présence de réalisateurs majeurs comme l’Allemand Fatih Akin (Amrum), l’Iranien Jafar Panahi (Un simple accident), l’Espagnol Oliver Laxe (Sirat) ou l’Israélien Nadav Lapid (Oui) garantit la crédibilité cinéphile et l’attrait international.
Le Cinéma Français Contemporain : Une place de choix est accordée à la production française récente, avec des films comme Classe Moyenne d’Antony Cordier, Nino de Pauline Loquès, Le Mohican de Frédéric Farrucci, ou Dites-lui que je l’aime de Romane Bohringer, assurant une connexion forte avec l’actualité cinématographique nationale.
Le Regard sur le Monde : Le festival ouvre une fenêtre sur des cinématographies plus rares, avec des œuvres de Thaïlande (Fantôme Utile), de Macédoine du Nord (Le garçon qui faisait danser les collines) ou d’Irak (The President’s cake), affirmant sa vocation de découverte.
Le Clin d’Œil Pop Culture : La projection événementielle des Dents de la Mer de Steven Spielberg à La Piscine crée un moment de partage ludique et intergénérationnel, parfaitement adapté à l’ambiance estivale en plein air.
L’Ancrage Corse et Documentaire : Une riche sélection de documentaires, projetés à la Casa di Lama, permet d’approfondir des thématiques sociales, culturelles et environnementales, avec un focus particulier sur la Corse (Ritratti corsi, Roma Ind’e Noi, Paysans en voie d’extinction).
La programmation s’étale sur quatre lieux principaux. À La Piscine et L’Umbria, les longs-métrages s’enchaînent chaque soir à 21h15, avec parfois des séances tardives à 23h. U Mercatu accueille spécifiquement les films jeune public, tandis que A Casa di Lama propose une programmation documentaire dense tout au long de la journée, de 14h à 18h¹⁷.
3.3 Les Ateliers et Rencontres : Le Cinéma en Pratique
Fidèle à sa vocation de transmission, le festival propose un programme dense d’ateliers et de rencontres, transformant le village en laboratoire cinématographique à ciel ouvert².
Atelier de Réalisation pour Enfants (26-31 juillet) : Cet atelier immersif initie les plus jeunes à toutes les étapes de la création (écriture, technique, mise en scène, comédie). Le film réalisé est projeté sur grand écran le soir de la clôture, offrant une expérience valorisante et un formidable outil d’éducation à l’image¹⁷.
Atelier d’Écriture de Scénario (30 juillet) : Animé par le scénariste professionnel Ludovic Pion-Dumas, cette journée d’initiation s’adresse aux débutants comme aux amateurs confirmés. Elle renforce l’axe « création » du festival et fait écho à sa résidence d’écriture¹⁷.
Atelier Chant « Lama-gie des chansons » (28-29 juillet) : Ce partenariat avec le Centre d’Art Polyphonique de Corse, dirigé par Brice Lebert, ancre profondément le festival dans le tissu culturel et musical de l’île. La création d’un « chœur éphémère de Lama » et les restitutions publiques dans l’église San Lurenzu témoignent de cette volonté de créer des ponts entre les arts¹⁷.
Masterclass de Gabriel Le Bomin (30 juillet) : La venue de ce réalisateur confirmé offre au public une occasion privilégiée de dialoguer avec un professionnel et de mieux comprendre les coulisses de la création cinématographique⁵.
Conférence d’Igor de Chaillé (29 juillet) : Animée par une personnalité reconnue du monde du théâtre (Molière 2025), cette conférence sur les liens entre théâtre et cinéma élargit le champ de la réflexion et enrichit l’offre intellectuelle du festival¹⁷.
3.4 Les Événements Périphériques : Une Fête Culturelle Complète
L’expérience de Lama ne se limite pas aux écrans. Une multitude d’événements culturels transforme la semaine en véritable fête des arts¹⁷. L’espace « Au Stallò » accueille les toiles des artistes Jéromine Massei et Marie-José Pastinelli, ainsi qu’une exposition de la Maison de l’Architecture de Corse axée sur les projets soutenables et patrimoniaux.
La programmation musicale est riche, avec le spectacle « Le poids du ciel » d’Olivier Pilloni et Maël Morin, le duo acoustique Antonia & Josepha, et les concerts de l’Andaghjina di l’Artisti. Des événements ancrent le festival dans son territoire : un parcours musico-patrimonial sur les traces de Pascal Paoli, animé par l’historien Antoine Franzini, et un atelier de présentation des grands rapaces de Corse par le Parc Naturel Régional de Corse. Ces initiatives connectent le 7ème art à l’histoire, l’identité et l’environnement exceptionnels de la Corse.
Conclusion : Lama, Paradis Retrouvé et Laboratoire Culturel
Le succès et la pérennité du Festival du Film de Lama reposent sur sa capacité à maintenir un équilibre subtil entre plusieurs dualités fondatrices : le local et l’international, l’authenticité rurale et la haute technologie, l’exigence artistique et la convivialité populaire, et plus récemment, la diffusion et la création. Loin d’être un simple événement culturel, le festival s’affirme comme un modèle inspirant de développement durable pour un territoire rural. Il démontre que la culture peut être un puissant levier de revitalisation sociale, économique et démographique.
En transformant ses contraintes initiales – isolement, absence d’infrastructures dédiées – en atouts différenciants, Lama crée une marque identitaire forte. Il devient ce que le journaliste de Télérama Jérémie Couston a justement qualifié de « paradis perdu » du cinéma⁴, un lieu rare où l’expérience de la projection redevient un acte collectif et sensoriel, enrichi par le contact direct avec les créateurs et la majesté du cadre naturel.
L’édition 2025, avec sa programmation éclectique et engagée, son hommage signifiant à Emilie Dequenne et la richesse de ses ateliers, confirme cette trajectoire. Plus encore, l’évolution du festival vers un rôle d’incubateur de talents, notamment à travers sa résidence d’écriture sur l’insularité, dessine les contours de son avenir. Cet avenir ne se jouera plus seulement sous les étoiles de ses nuits de projection, mais aussi dans les histoires qu’il contribuera à faire naître, consolidant ainsi son statut de laboratoire culturel essentiel au cœur de la Méditerranée.
Sources :
- 25ème édition du Festival du Film de Lama – Pari(s) sur la Corse
- Agenda culturel Balagne – Festival du film de Lama
- LAMA FESTIVAL: EUROPEAN CINEMA AND RURAL WORLD FESTIVAL | The corsican official tourist website
- Le festival
- Festival du film de Lama
- LAMA FESTIVAL DU FILM
- 25 ANS! Festival du Film de Lama | Agenda | a Cultura
- Lama Film Festival – FilmFreeway
- LAMA FESTIVAL DU FILM
- Lama 2025 : une semaine de cinéma sous les étoiles en Haute-Balagne – OniriQ
- Festivals – GINDOU, RENCONTRES CINÉMA – Gindou (46) – Août – Traversées Africaines
- PARCOURS ITINERANT HISTOIRE ET TECHNIQUES DU CINEMA
- Gindou Cinéma | Education artistique et culturelle
- Lama film festival
- Les Rencontres cinéma de Gindou fêtent leurs 40 ans | CNC
- 40es Rencontres Cinéma de Gindou – Du 17 au 24 août 2024 – Région Occitanie / Pyrénées-Méditerranée
- Festival du Film de Lama – Balagne Corsica
- Programmation
À propos du festival :
Cet article fait référence au Festival du film de Lama.
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