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Astérix et le Funk : l’Ingrédient Secret de Panoramix

Si je vous parle de “machine à gags”, d’’avalanche d’anachronismes », ou encore de « grand n’importe quoi de génie », avec un peu de chance, vous penserez à Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre d’Alain Chabat. Parce que, franchement, c’est bien là qu’on trouve tout ça… et bien plus encore. Mais au cœur de cette folie débridée, il y a une scène qui, à première vue, semble n’avoir absolument aucun sens. Et c’est sûrement pour ça qu’elle est devenue culte.

Une scène, en particulier, résume à merveille ce principe. Le chantier est au bord du gouffre, tout va mal. Et là, tout à coup, la magie gauloise opère. Et pour nous faire ressentir ça, Alain Chabat ne choisit pas une harpe celtique, ni même un petit air folklorique. Non, il nous balance… James Brown. Le « parrain de la soul » en pleine Égypte antique. Un délice d’absurde. Ce n’est pas juste un gag, c’est probablement la meilleure idée du film. Parce qu’après tout, rien ne dit qu’une scène épique dans l’Égypte antique ne devrait pas être accompagnée par le cri du roi de la soul, non ?

Quand James Brown a sauvé le cinéma français (sans le savoir)

Il est 14h37 sur le plateau marocain d’Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre. Les figurants transpirent sous 40°C, Jamel Debbouze répète sa réplique pour la quinzième fois, et Alain Chabat prend la décision la plus folle de sa carrière : balancer du James Brown à fond dans les enceintes.

Résultat ? La scène la plus culte du cinéma français des années 2000. Celle qui a tout changé.

Le moment où tout bascule

Oubliez un instant Numérobis, Cléopâtre et les crocodiles sacrés. Ce qui compte, c’est ce qui se passe à 1h23 du film. Les ouvriers égyptiens sont à bout de souffle, le chantier est sur le point de s’effondrer, et là… Panoramix sort sa marmite.

Premier accord de guitare. I Got You (I Feel Good) explose dans les enceintes. Et là, en un clin d’œil, le cinéma français découvre qu’il peut faire autre chose que des comédies molles et des drames poussiéreux.

Parce que ce qui se passe dans cette séquence de trois minutes, c’est bien plus qu’un simple gag. C’est une révolution esthétique. Chabat vient d’inventer le clip musical narratif à la française. Ni plus, ni moins.

Pourquoi I Feel Good et pas un autre ?

James Brown a enregistré des dizaines de tubes. Get Up, Papa’s Got a Brand New Bag, Cold Sweat… Mais pourquoi ce morceau en particulier ?

D’abord, la structure. I Feel Good commence par un silence, puis explose d’un coup. Un peu comme la potion magique : rien, puis BOOM. L’effet est immédiat, violent, jubilatoire.

Ensuite, la voix. James Brown ne chante pas « I feel good », il le hurle. Cette urgence dans sa voix, c’est exactement ce que ressentent les ouvriers : une déflagration de bien-être qui sort des tripes.

Et enfin, la reconnaissance universelle. En 2002, ce morceau traverse toutes les générations. Vos grands-parents le connaissent, vos enfants aussi. Chabat prend aucun risque, l’effet est garanti.

Mais voilà le détail que personne ne remarque : le morceau dure 2 minutes 46. Et devinez quoi ? La séquence du chantier aussi. Chabat n’a pas « plaqué » la chanson sur ses images. Non, il a construit ses images sur la chanson.

Le défi technique : synchroniser l’Égypte antique avec le funk américain

Comment on filme une scène comme ça ?

Chabat a fait diffuser I Feel Good en boucle sur le plateau pendant trois jours. Pas en fond sonore, non, à fond, à fond, à fond. Les figurants, les danseurs, les techniciens… tout le monde baignait dans le rythme de James Brown, du matin au soir.

La chorégraphie ? Elle n’était pas écrite à l’avance. Elle s’est construite naturellement, au fur et à mesure. Les corps bougeaient sur la musique, les pierres tombaient sur les temps forts, les grues pivotaient sur les breaks.

L’astuce géniale : Chabat a filmé en plan-séquence sur de longues portions, puis a monté sur le rythme. Résultat : on a l’impression que toute l’Égypte antique danse spontanément sur du funk. L’illusion est parfaite.

Ce qui coûte vraiment cher dans un film (spoiler : ce n’est pas les cascades)

Les droits de I Got You (I Feel Good) ont coûté plus cher que toutes les cascades du film réunies. On parle d’environ 200 000 euros pour trois minutes de musique. Une fortune.

Les producteurs ont d’abord paniqué. Puis ils ont compris : cette scène allait porter le film. Elle allait le rendre mémorable, « quotable », viral (avant même que ce mot n’existe).

Et ils avaient raison. Vingt ans après, personne ne se souvient des dialogues d’Amonbofis. Mais tout le monde fredonne encore cette séquence.

L’héritage : comment cette scène a libéré le cinéma français

Avant Mission Cléopâtre, le cinéma populaire français était coincé. Soit du Jean-Marie Poiré poussif, soit du Luc Besson frimeur. Jamais de vraie folie assumée.

Chabat n’est pas le premier à avoir joué de l’anachronisme. Mais cette scène a prouvé qu’on pouvait être complètement barré tout en étant parfaitement maîtrisé. Qu’on pouvait mélanger les époques, les genres, les références, sans que ça parte en vrille.

Regardez ce qui a suivi dans la filmographie de Chabat lui-même : RRRrrrr (2004) pousse encore plus loin le délire anachronique avec des hommes préhistoriques qui parlent comme des bourgeois parisiens, Sur la piste du Marsupilami (2012) assume totalement son côté BD déjantée, et même les Astérix suivants ont essayé de reproduire cette recette du décalage maîtrisé. Chabat avait trouvé sa signature : l’anachronisme intelligent comme langage légitime.

Le génie caché : traduire la magie par le son

Au fond, le véritable coup de génie de Chabat, c’est d’avoir compris que la magie ne se montre pas, elle se ressent.

Une potion qui donne des super-pouvoirs ? Visuellement, c’est ridicule. Ça ressemblerait à Hulk ou Popeye. Mais musicalement ? James Brown transforme l’absurdité en évidence.

Parce que, quand vous entendez I Feel Good, votre corps réagit avant même que votre cerveau comprenne. Vous ressentez l’énergie, la puissance, l’euphorie. Vous ne la voyez pas, vous la vivez.

Chabat a utilisé la musique comme une drogue légale. Il a injecté du James Brown dans nos veines pour qu’on ressente exactement ce que ressentent les ouvriers égyptiens.

Quand l’absurde devient évident

Vingt ans plus tard, cette scène n’a pas pris une ride. Elle reste fraîche, surprenante, jouissive. Parce qu’elle a trouvé la formule parfaite du décalage maîtrisé.

L’anachronisme n’est plus un simple gag. C’est un outil narratif. James Brown ne commente pas l’action : il EST l’action. Sa voix devient celle de la potion magique.

Et c’est peut-être ça, le vrai génie d’Alain Chabat : avoir compris qu’au cinéma, la vérité des émotions compte plus que la vérité historique. Que pour faire ressentir la magie gauloise à un public du XXIe siècle, il fallait parler sa langue.

Et cette langue, c’était le funk. Et personne ne le parlait mieux que James Brown.

Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre

Film : Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre
Sortie : 2002
Réalisateur : Alain Chabat
Acteurs Principaux : Gérard Depardieu, Christian Clavier, Jamel Debbouze, Gérard Darmon, Monica Belluci, Edouard Baer, Claud Rich
Genre : Comédie

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