Sorti en 1979, Apocalypse Now de Francis Ford Coppola est bien plus qu’un film de guerre. C’est une plongée psychédélique dans la folie humaine, où la musique joue un rôle essentiel. Elle nous transporte dans l’horreur et l’absurdité de la guerre du Vietnam. Deux œuvres musicales radicalement différentes mais parfaitement utilisées marquent à jamais nos esprits : l’opéra wagnérien et le rock psychédélique.
Nous sommes en pleine guerre du Viêt Nam. Le capitaine Willard est chargé d’une mission. Une mission secrète, évidemment. Il doit retrouver et neutraliser un colonel : Kurtz. Un officier brillant qui a un peu trop pété les plombs et qui a créé son propre royaume au fond de la jungle. Classique…
Willard embarque sur un petit bateau. Il commence à remonter le Mékong. C’est là que le film bascule pour de bon. On quitte le film de guerre classique. On entre dans une sorte de trip sous acide. Chaque arrêt sur le fleuve est plus absurde que le précédent. On croise un lieutenant qui veut surfer sous les bombes. On assiste à un spectacle de playmates qui tourne au chaos. Plus le bateau avance, et moins on comprend les règles du jeu.
Au bout du fleuve, il y a enfin Kurtz. Son camp est c’est le mixte entre un temple et un cauchemar. Il est traité comme un dieu par une tribu locale. Il parle par énigmes, il juge, il exécute. La mission de Willard n’est alors plus juste de tuer un homme. C’est de faire face à la folie pure.
La chevauchée des Walkyries (Richard Wagner)
La scène d’attaque des hélicoptères est devenue l’une des séquences les plus célèbres de l’histoire du cinéma, en grande partie grâce à l’utilisation de la musique de Wagner.
Coppola crée un choc frontal. Il plaque la puissance d’un opéra de Wagner sur la violence pure de la guerre. Le décalage est total. On voit un massacre, mais on entend une œuvre d’art. Personnellement, ce contraste m’a glacé le sang. On ne sait plus si on doit être horrifiée ou fascinée.
C’est que la musique est dans le film. Ce n’est pas juste un fond sonore pour nous, spectateurs. C’est le lieutenant-colonel Kilgore, joué par un Robert Duvall hallucinant, qui la diffuse à plein volume. Pour « effrayer l’ennemi » et motiver ses gars, dit-il.
L’idée devient vertigineuse. L’art devient arme, métaphore de la culture occidentale qui s’impose par la force. Kilgore se prend pour un dieu de la guerre. Et Wagner, c’est la bande-son de son délire de toute-puissance. La musique n’accompagne pas l’horreur. Elle la met en scène.
The End (The Doors)
Contrairement à l’énergie explosive de Wagner, « The End » sert de cadre sonore à la descente aux enfers du capitaine Willard.
La chanson ouvre le film et elle le ferme. C’est une boucle. On a l’impression que l’histoire pourrait recommencer à l’infini. Le voyage de Willard n’est pas que sur un fleuve. Il est surtout intérieur, dans sa propre tête. Et cette chanson, c’est le disque rayé de sa conscience.
À la base, Jim Morrison a écrit ce morceau sur une rupture amoureuse. C’est l’histoire d’une fin, d’un adieu. Dans le film, ce n’est plus la fin d’un amour. C’est la fin de tout : de la morale, de l’innocence, de la raison. La chanson devient une prophétie apocalyptique et psychédélique.
Coppola a été particulièrement interpellé par la partie centrale de la chanson. Un long passage parlé, presque une transe. Morrison y explore le mythe d’Œdipe. L’idée de « tuer le père ». Coppola y a vu le reflet parfait de la mission de Willard. Willard doit tuer Kurtz, son supérieur, figure paternelle monstrueuse. La chanson n’est plus un fond sonore.
La Vision de Coppola
Francis Ford Coppola a expliqué à plusieurs reprises son choix musical : « Je voulais que la musique soit un personnage à part entière du film ». Pour lui, ces deux œuvres musicales représentaient les deux facettes de la folie guerrière : l’une grandiose et triomphante, l’autre introspective et nihiliste.
« L’utilisation de ‘The End’ n’était pas prévue initialement. Pendant le montage, j’ai réalisé que cette chanson encapsulait parfaitement l’esprit du film – cette sensation de fin du monde, de descente aux enfers. »
Le tournage chaotique et extrêmement long (plus de 16 mois) a renforcé le parallèle entre la folie du colonel Kurtz et celle vécue par l’équipe du film, dont Coppola lui-même qui a frôlé la banqueroute. La musique n’a fait que mettre des notes sur ce chaos bien réel.
À la fin, que nous reste-t-il d’Apocalypse Now ? Bien sûr, des images saisissantes, mais surtout des sons qui nous poursuivent bien après le générique. J’ai fini par comprendre que la musique ne cherchait pas à rendre le voyage plus agréable. Non, elle est là pour semer le doute. Le doute sur ce que l’on voit, sur ce que l’on ressent.
Coppola a relevé un défi de taille. Il a pris une chanson sur la rupture et en a fait un hymne à la fin du monde. Il a pris un opéra majestueux et l’a transformé en une arme de terreur. Chaque note est une claquette de plus, nous enfonçant un peu plus dans le chaos.
En fin de compte, je crois que j’ai saisi le rôle de cette bande-son. Elle ne cherche pas à nous séduire. Elle veut nous faire plonger au cœur de la guerre, dans son tourbillon d’horreur et de folie. Et son plus grand tour de force, c’est qu’on en ressort pas tout à fait indemne. Le film se termine, mais la musique… elle, elle nous hante encore.

Film : Apocalypse Now
Sortie : 2016
Réalisateur : Francis Ford Coppola
Acteurs Principaux : Martin Sheen, Frederic Forrest, Robert Duvall, Marlon Brando, Harrison Ford
Genre : Drame, Guerre