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Annecy, ou pourquoi une ville entière se met à dessiner en juin

Il y a des rendez-vous comme ça, inscrits dans le calendrier, qui semblent presque relever du phénomène naturel. Les feuilles qui tombent en automne, la neige en hiver et… les avions en papier qui volent dans les salles de cinéma en juin.Oui, je parle bien d’Annecy.

Chaque année, quand les premiers vrais soleils de l’été viennent caresser le lac, la ville se métamorphose. Ce n’est pas juste une « ville qui accueille un festival ». Non, c’est plus profond. C’est comme si la ville entière retenait son souffle et se laissait envahir par un autre monde, un monde où les personnages de croquis ont plus d’importance que les gens pressés, où les conversations sur les techniques de stop-motion remplacent les banalités sur la météo. On se balade, et l’on voit des étudiants assis sur les pelouses du Pâquier, un carnet à la main, refaisant le monde en quelques coups de crayon. On croise des réalisateurs japonais légendaires qui mangent une glace comme de simples touristes, et on n’ose pas les déranger. C’est ça, l’atmosphère d’Annecy. C’est une sorte de grande parenthèse enchantée et sérieuse à la fois, une bulle où la passion pour l’animation devient l’air qu’on respire.

Mais comment en est-on arrivé là ? Pourquoi ici, dans cette ville de carte postale nichée au creux des Alpes ? En grattant un peu, on découvre que la magie n’est pas née d’un coup de baguette. L’histoire remonte aux années 60. À l’époque, les Journées Internationales du Cinéma d’Animation (les JICA) avaient déjà lieu à Cannes. Mais une poignée de passionnés a eu cette intuition folle : et si on donnait à l’animation sa propre maison, loin du faste et du bruit de la Croisette ? Et si on créait un lieu où cet art, souvent considéré comme un « sous-genre », pouvait enfin être roi ? Choisir Annecy, c’était faire le pari de l’intimité contre le gigantisme, de la concentration sur l’art plutôt que sur les paillettes. Un pari réussi, visiblement.

Au cœur de cette effervescence, il y a un Graal, un totem : le Cristal d’or. Drôle de nom pour un prix, non ? Ça sonne comme un objet dans un jeu vidéo. Pourtant, il ne faut pas s’y tromper. Pour un réalisateur de film d’animation, décrocher ce Cristal, c’est un peu comme recevoir un adoubement. Ce n’est pas juste une statuette de plus à mettre sur une étagère. C’est une reconnaissance par ses pairs, une porte qui s’ouvre sur une distribution internationale, la promesse que son œuvre, souvent née dans la solitude et après des années de labeur acharné, va enfin rencontrer son public. Quand on assiste à la cérémonie de clôture, on sent bien que l’enjeu dépasse la simple compétition. Il y a une tension, une émotion palpable. Gagner le Cristal, c’est la preuve qu’un dessin peut émouvoir le monde entier.

Alors, au final, pourquoi ce festival est-il si important ? Je crois que la réponse se trouve dans sa dualité. D’un côté, il y a le festival « officiel », les compétitions, les projections dans les grandes salles obscures de Bonlieu. Et de l’autre, il y a le MIFA, le Marché International du Film d’Animation. C’est le côté « business », plus feutré, où les projets se vendent, où les futurs classiques trouvent leur financement. C’est ce mariage improbable entre l’art le plus pur et l’industrie la plus concrète qui rend Annecy unique. C’est un endroit où un jeune diplômé peut montrer son court-métrage de fin d’études et, une heure plus tard, assister à une masterclass d’un des pontes de Pixar. Cette porosité entre les mondes, entre le vétéran et le débutant, entre le créatif et le producteur, c’est ça, le véritable moteur du festival.

Ce n’est pas juste le plus grand festival d’animation au monde par les chiffres. C’est le plus important parce qu’il est le cœur battant d’une communauté mondiale. Un lieu où, pendant une semaine, des milliers de personnes partagent la même conviction un peu folle : qu’un personnage dessiné peut raconter l’humanité avec autant de force qu’un acteur de chair et d’os. Et rien que pour ça, on est prêt à leur pardonner les avions en papier qui nous frôlent la tête dans le noir.

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