Du 16 au 23 août, Douarnenez accueille sa 47e édition consacrée aux « Peuples-Amazonie ». Portrait d’un festival qui navigue entre engagement politique et découverte cinématographique.
Dans le paysage des festivals français, Douarnenez occupe une place à part. Nous sommes loin des fastes cannois ou des avant-gardes expérimentales.le petit port du Finistère revendique depuis 1978 un autre modèle : donner la parole aux cultures « minorisées » à travers le cinéma.
Naissance d’un projet militant (1978)
Le festival naît dans un contexte particulier. La Bretagne des années 70 vit une période d’effervescence culturelle et politique intense. Entre luttes pour la reconnaissance de la langue bretonne, combats écologistes contre les marées noires et oppositions aux projets nucléaires comme à Plogoff, la région bouillonne.
C’est dans ce climat qu’un groupe de jeunes cinéphiles crée le « Festival des minorités nationales ». Leur raisonnement est simple : puisqu’ils militent pour la reconnaissance de leur propre culture bretonne, pourquoi ne pas s’intéresser aux autres peuples qui mènent des combats similaires ailleurs dans le monde ?
La première édition, consacrée au Québec, pose les bases d’une approche qui perdure : utiliser le cinéma comme outil de découverte et de solidarité entre communautés partageant des enjeux d’identité culturelle.
Cette histoire fondatrice est documentée dans « Les yeux grands ouverts : Douarnenez, 40 ans de cinéma et de diversité », ouvrage de référence co-écrit par Gérard Alle et Caroline Troin, deux figures historiques du festival.
Un tour du monde en 47 éditions
La liste des « peuples invités » depuis 1978 dessine une géographie particulière, loin des sentiers battus diplomatiques ou touristiques. Après le Québec inaugural, le festival explore les Nations indiennes d’Amérique du Nord (1979), le peuple occitan (1981), les « Peuples tziganes d’Europe » (1983), le « Peuple noir américain » (1985).
L’approche évolue avec le temps. Aux minorités nationales ou régionales s’ajoutent des communautés transnationales comme le « Yiddishland » (1999), ou des approches plus conceptuelles. En 2004, le festival s’intéresse aux « Belgiques » au pluriel, explorant la complexité identitaire belge. En 2017, pour sa 40e édition, il choisit le thème « Frontières ». En 2022, il découvre les « Helvètes Underground ».
Parfois, le festival fait le choix du retour. L’édition 2023 consacrée aux « Premiers Peuples d’Amérique du Nord » fait écho à celle de 1979, témoignant d’un suivi au long cours des communautés abordées.
Organisation et atmosphère
Le festival revendique une organisation décalée par rapport aux standards de l’industrie. Son cœur névralgique n’est pas une salle de projection mais une place éphémère installée sur le parking du centre-ville. Tables, bancs et chapiteaux accueillent un public mélangé : festivaliers, réalisateurs invités, bénévoles, habitants et touristes.
Depuis 2009, la Langue des Signes Française est devenue la troisième langue officielle du festival, aux côtés du français et du breton. C’est tout un dispositif qui se traduit par une programmation dédiée et ”une accessibilité renforcée”.
La programmation musicale met en avant les groupes locaux : fanfares de quartiers comme le « Kermarron Braz Band », collectifs féminins comme « Les Reuz Bonbon », ou encore « Savato » et son crédo « Si y’a Savato! Ça va finir tard! ». Une approche qui correspond à la philosophie générale : ancrage local et ambiance populaire.
L’événement propose également des formats originaux comme l’« aquapitching » : des séances de présentation de projets où réalisateurs et producteurs échangent… en se baignant dans la mer. Cette décontraction assumée contraste avec les codes habituels des rencontres professionnelles.
Le festival fonctionne grâce à l’engagement de centaines de bénévoles de tous âges, véritable colonne vertébrale de l’organisation.
Structure de programmation
Au-delà du « peuple invité » principal, le festival s’articule autour de plusieurs sections :
Regards d’ici : Cette section explore les enjeux bretons en écho aux thématiques internationales. Pour 2025, un temps fort sera consacré aux ouvrières de Douarnenez, en référence au centenaire des grèves des sardinières.
Grande Tribu : Section mémoire qui donne régulièrement des nouvelles des peuples et des luttes abordés lors des éditions précédentes, maintenant un lien dans la durée.
Sections LGBTQIA+ et Monde des Sourds : Exploration des identités à l’intérieur des identités, questionnant par exemple ce que signifie être sourd au Brésil ou comment les questions de genre sont filmées en Amazonie.
Jeune Public : Programmation et ateliers dédiés à la transmission vers les plus jeunes.
Les journées s’organisent autour d’un rythme particulier : projections de documentaires rares, « palabres » (débats où la parole du public est central), concerts et fest-noz. Cette organisation sollicite « le cerveau, le cœur et les jambes » selon la formule consacrée.
Édition 2025 : plongée amazonienne
La 47e édition (16-23 août 2025) se concentre sur les « Peuples-Amazonie ». Le festival a choisi de consacrer deux années à cette thématique : 2024 pour le Brésil, 2025 plus spécifiquement pour l’Amazonie, tant le sujet est vaste.
L’objectif affiché : déconstruire les stéréotypes sur une Amazonie souvent fantasmée comme vierge et inhabitée, en donnant la parole aux cinéastes autochtones et en montrant la réalité contemporaine de ces territoires.
140 films sont annoncés pour cette édition. Parmi les invités de marque : la journaliste brésilienne Eliane Brum, qui se définit comme « journaliste-forêt » et promet de raconter l’Amazonie loin des clichés, et la cinéaste afro-indigène Renaya Dorea, qui a réalisé l’affiche du festival.
Sélection subjective
Dans la section Peuples-Amazonie : « La Fièvre » de Maya Da-Rin raconte l’histoire d’un gardien de sécurité indigène travaillant dans le port de Manaus, soudainement pris d’une fièvre mystérieuse. Un thriller social qui s’éloigne des documentaires animaliers habituels.
Dans Regards d’ici : Le focus sur les ouvrières de Douarnenez propose une mise en parallèle audacieuse entre mémoire ouvrière locale et résistances amazoniennes.
En section LGBTQIA+ : « Neptune Frost », comédie musicale de science-fiction anti-capitaliste et queer se déroulant dans un village de hackers au Rwanda. Un programme pour le moins éclectique.
Dans Monde des Sourds : « Sorda », portrait d’une femme sourde rêvant de maternité avec son compagnon entendant, exploration rare de ces questions sans pathos.
Un modèle économique particulier
Le festival repose sur un financement mixte associant subventions publiques, partenariats privés locaux et billetterie. Cette structure permet de maintenir une programmation de niche et des tarifs « démocratiques ». La contrepartie est que cela limite les moyens de communication et la visibilité médiatique nationale.
L’engagement bénévole massif compense en partie ces contraintes budgétaires, mais soulève aussi des questions sur la professionnalisation et la pérennité du modèle. (J’avais évoqué ce soucis cette difficulté récurrente pour la plupart des festivals : (Sans eux, pas de festival : Bénévoles, l’âme des festivals – Nos petits festivals vont-ils crever la bouche ouverte?)
Réception et critiques
Si le festival fidélise un public d’habitués et bénéficie d’un soutien institutionnel stable, il fait aussi l’objet de critiques. Certains pointent une approche parfois manichéenne des enjeux géopolitiques, d’autres questionnent la pertinence de certains choix de « peuples invités » ou dénoncent un entre-soi militant.
La dimension politique assumée du festival, si elle correspond à son ADN historique, peut également rebuter une partie du public en quête de découverte cinématographique plus « neutre ».
Reste que Douarnenez a réussi le pari de maintenir pendant près d’un demi-siècle une ligne éditoriale cohérente et une identité forte, dans un paysage festivalier de plus en plus concurrentiel.
Informations pratiques :
- Dates : 16-23 août 2025
- Lieu : Douarnenez (Finistère)
- 140 films programmés
- Programmation complète et billetterie sur le site officiel
- Accès en LSF pour de nombreuses séances
- Cet article fait référence au festival Festival de Cinéma de Douarnenez.