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Le film qui prouve que le lumbago est un signe du destin

Disons-le tout net, mon rapport à Paris est… sélectif. Ayant partagé ma jeunesse entre la grise banlieue, les cigales de la Drôme et les embruns du Calvados, j’ai développé une sorte d’allergie amusée au « très parisien ». Vous savez, cette performance de tous les instants. Et le décor ultime de cette performance, c’est l’appartement haussmannien. Un sanctuaire du bon goût où l’on est censé parler de Schopenhauer en dégustant un macaron de Ladurée. Alors, quand un film met en scène non pas un grain de sable, mais un véritable cyclone de maladresse, il ne touche pas seulement au génie, il devient un art majeur. Ce film, mon panthéon personnel de la comédie, le chef-d’œuvre de la justice karmique, c’est Le Dîner de Cons.

L’action nous enferme donc dans l’appartement de Pierre Brochant. Et quel appartement!  C’est autant un lieu de vie qu’une vitrine de son propre ego. Chaque objet est choisi, chaque livre est une preuve. C’est le QG d’un homme qui, pour s’amuser, organise avec ses amis un dîner où le plat principal est la moquerie. Le concept : chaque convive ramène un « con » et celui qui a déniché le plus spectaculaire est déclaré vainqueur. Brochant pense avoir trouvé la perle rare en François Pignon. Ce qu’il ne sait pas, c’est que le trophée, c’est lui. Pire, le jeu se déroulera à domicile dans un “presque” huis clos. Un lumbago plus tard, le voilà piégé dans sa forteresse dorée avec le champion du monde toutes catégories de la gaffe.

La jouissance pure du film atteint son apogée avec l’entrée en scène du contrôleur des impôts. Car Veber, dans son génie, a compris que pour faire vraiment mal à un homme comme Brochant, il ne faut pas menacer sa femme ou sa carrière, mais son portefeuille. L’appartement, symbole de sa fortune, devient soudain le corps du délit. Et voilà que débarque Lucien Cheval, le bras armé du destin déguisé en fonctionnaire à mocassins, invité par Pignon lui-même. La paranoïa de Brochant, qui voit un contrôle fiscal derrière chaque question, est une symphonie. On savoure chaque goutte de sa sueur. Le malentendu cosmique autour de « Juste Leblanc » n’est pas qu’un ressort comique ; c’est la revanche de tous les gens simples sur les esprits compliqués. C’est la preuve que face à un con de classe internationale, l’intelligence ne sert à rien.

La pure jouissance du film tient dans son escalade. C’est un crescendo de catastrophes déclenchées par les meilleures intentions du monde. Et puis il y a ce moment où le rire devient presque incrédule, c’est bien sûr l’arrivée du contrôleur fiscal. Ce n’est même pas de la justice sociale, c’est de l’ironie cosmique. L’appartement, symbole de la réussite de Brochant, devient la piste d’un cirque. Lucien Cheval, dans sa douleur, garde son métier en ligne de mire sous les yeux admiratifs d’un Pignon en roue libre. 

La séquence sur « Juste Leblanc » est un moment de grâce qui prouve une chose : la logique implacable d’un innocent est une arme de destruction massive contre laquelle l’esprit le plus affûté ne peut rien. On ne rit pas de la détresse de Brochant par méchanceté, on rit parce que la situation est si parfaitement, si absurdement catastrophique. C’est la beauté d’un plan parfait qui déraille de la manière la plus spectaculaire qui soit.

Le Dîner de Cons est un chef-d’œuvre de bienveillance sarcastique. Il ne se moque pas méchamment, il expose avec une tendresse infinie le ridicule de nos certitudes. Brochant n’est pas juste un salaud arrogant, c’est aussi un homme qui perd pied, et sa panique est aussi drôle que touchante. Pignon n’est pas qu’un idiot, il est fondamentalement bon et ne cherche qu’à aider. C’est cette dynamique, ce choc entre un cynisme blindé et une gentillesse à l’épreuve des balles, qui rend le film si humain et si drôle. Il nous rappelle que les murs les plus épais, qu’ils soient de pierre de taille ou de certitudes intellectuelles, ne protègent jamais d’un bon cœur maladroit.

En tant que fan absolue, je vois ce film comme une leçon d’humilité par le rire. Il démontre que le chaos a souvent bien plus de charme que l’ordre le plus parfait. Et qu’un ami qui vous veut du bien peut faire bien plus de dégâts qu’un ennemi qui vous veut du mal. Quelle plus belle morale ?

Le Dîner de Con

Film : Le Dîner de Con
Sortie : 1998
Réalisateur : Francis Veber
Acteurs Principaux : Thierry Lhermitte, Jacques Villeret, Francis Huster
Genre : Comédie

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