Home / Un film, un lieu / Ce film qui fait mal aux pieds (et du bien au moral)

Ce film qui fait mal aux pieds (et du bien au moral)

Alors voilà, je voulais vous poser une question. Ça vous est déjà arrivé, la fausse bonne idée ? Vous savez, ce projet qui sonne si bien sur le papier, genre « Et si on montait une étagère ? » ou « Et si on coupait notre frange nous-mêmes ? ». Une idée lumineuse qui, une fois confrontée au réel, se transforme en petite catastrophe intime et légèrement ridicule.

Eh bien, Les Randonneurs, c’est l’histoire d’une fausse bonne idée à l’échelle d’une montagne.

L’idée, la voici : « Et si on se faisait le GR20 pour les vacances ? ». Sur le papier, c’est l’aventure, la Corse sauvage, les paysages à couper le souffle, l’amitié scellée par l’effort. Dans la réalité du film de Philippe Harel, c’est une tout autre histoire. C’est l’histoire d’une bande de Parisiens qui troquent leurs petits soucis de la ville contre des ampoules aux pieds, des sacs à dos qui pèsent une tonne et la découverte que, non, l’amitié ne résiste pas toujours à une montée de 800 mètres sous un soleil de plomb. Le GR20 n’est plus un décor de carte postale, il devient le personnage principal, un juge de paix magnifique et absolument impitoyable.

Le groupe, c’est un petit concentré de ce qu’on peut trouver de plus familier. Il y a le guide autoproclamé qui a tout lu mais rien vécu, le Belge grande gueule et attachant (forcément, c’est Benoît Poelvoorde), la fille qui espère que l’air pur la reconnectera à son couple, et celle qui cherche l’amour au détour d’un chemin escarpé. Vous voyez le tableau. Chacun est venu avec son bagage, au sens propre comme au figuré, et le sentier va se charger de faire le tri. Le film est une comédie, bien sûr, mais une comédie qui grince. On rit beaucoup des galères des autres, probablement parce qu’on y reconnaît un peu les nôtres. On rit de leur mauvaise foi, de leurs engueulades pour une histoire de gourde partagée ou de rythme de marche.

Et le GR20, dans tout ça ? Il est filmé sans fard. Harel ne cherche pas à l’enjoliver. Il nous montre la poussière, la sueur qui colle à la peau, les visages marqués par la fatigue. Il utilise des petits détails, presque des instantanés d’inconfort : le bruit des chaussures sur le gravier, la promesse froide d’un torrent pour y tremper des pieds meurtris, le réconfort dérisoire d’une barre de céréales avalée face à un panorama grandiose mais indifférent. Il y a des scènes mythiques, comme celle de la passerelle de Spasimata, une sorte de pont de singe suspendu au-dessus du vide qui teste les nerfs autant que les mollets. Le sentier n’est pas un ennemi, il est pire : il est neutre. Il est là, et c’est aux personnages de s’adapter ou de craquer.

Ce qui est le plus savoureux, c’est ce qui s’est passé après. Le film, qui est finalement une sorte de publicité contre la randonnée en haute montagne, a provoqué l’effet inverse. Il a créé ce qu’on a appelé « l’effet Randonneurs ». Du jour au lendemain, des milliers de gens se sont dit « tiens, et si on se faisait le GR20 ? ». Apparemment, voir des personnages souffrir le martyre pendant une heure et demie a des vertus inspirantes. Les gardiens de refuge ont vu débarquer des marcheurs équipés comme pour une balade dominicale, demandant où était la prochaine route ou s’il était possible de payer par carte bancaire. La fiction avait débordé sur le réel, créant une nouvelle génération de randonneurs, pas toujours pour le meilleur.

Je crois que c’est ça, la force du film. En montrant l’épreuve sans la glorifier, il a touché une corde sensible. Il nous rappelle que l’aventure, la vraie, ce n’est pas celle des magazines. C’est celle qui nous confronte à nos propres limites, à notre ridicule, à notre capacité à continuer d’avancer même quand tout nous crie d’arrêter. Et le GR20, avec ses crêtes et ses vallées, reste le témoin silencieux de toutes ces petites comédies humaines qui s’y jouent chaque été, un peu à cause, et beaucoup grâce, à ce film.

Les Randonneurs

Film : Les Randonneurs
Sortie : 1997
Réalisateur : Philippe Harel
Acteurs Principaux : Benoît Poelvoorde, Karin Viard, Vincent Elbaz, Géraldine Pailhas, Zinedine Soualem
Genre : Comédie

Étiquetté :

Répondre

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *