Il y a des films qui vous traversent et d’autres qui vous habitent. Et puis il y a ceux qui vous donnent rendez-vous dans une ville. Pour moi, ce fut Ma nuit chez Maud, et le rendez-vous était à Clermont-Ferrand. Drôle d’endroit pour une rencontre, non ? Une ville que j’imaginais grise, industrielle, un peu secrète. À l’image du film, finalement.
Pour celles et ceux qui ne l’auraient pas vu, laissez-moi vous dessiner la situation. On suit Jean-Louis, un ingénieur un peu rigide, très catholique, qui bosse chez Michelin. Il revient à Clermont après des années à l’étranger et décide, sur une impulsion presque mathématique, qu’une jolie blonde aperçue à la messe sera sa femme. C’est son pari à lui. Sauf que, hasard ou destin, un vieil ami marxiste le traîne chez Maud. Elle est médecin, divorcée, incroyablement libre dans son appartement où la fumée de cigarette et les idées s’entremêlent. Et voilà notre Jean-Louis, contraint par la neige, qui passe la nuit à discuter, à se confronter, sur le seul lit de l’appartement. Une nuit chaste mais chargée de toutes les tentations.
Rohmer ne filme pas Clermont-Ferrand, il la laisse infuser. La ville n’est pas un décor, plutôt une atmosphère. On sent le froid de décembre, le poids de la province. Tout commence et tout finit par des lieux précis, presque des points sur une carte mentale. Il y a la cantine de chez Michelin, fonctionnelle et anonyme. Il y a la basilique Notre-Dame-du-Port, une beauté romane où la foi de Jean-Louis est à la fois évidente et mise à l’épreuve. C’est là qu’il voit Françoise, la promesse d’un bonheur rangé.
Et puis il y a le cœur battant de la ville, la place de Jaude. C’est là, dans un café qui s’appelait à l’époque Le Suffren, qu’il retrouve son ami Vidal. C’est aussi au pied de la statue de Vercingétorix qu’il ose enfin aborder Françoise. Ces lieux ne sont pas juste des toiles de fond ; ils sont les témoins silencieux des hasards et des choix qui tissent l’intrigue.
Ce qui est amusant, c’est de découvrir que le fameux appartement de Maud, ce huis clos intellectuel et sensuel, a été en fait recréé dans un studio parisien, rue Mouffetard. Comme quoi, l’intimité se fabrique. Mais toute l’âme du film, cette tension entre les principes rigides et le désordre de la vie, elle, est bien née dans les rues clermontoises. Le film est hanté par la figure de Blaise Pascal, né ici même, et son fameux pari sur l’existence de Dieu devient la métaphore des choix amoureux de Jean-Louis. Croire en Françoise sans la connaître, est-ce si différent de parier sur l’au-delà ?
On dit que Cherbourg a ses Parapluies, Clermont-Ferrand a sa Nuit chez Maud. Le film a offert à la ville une aura intello, un peu austère mais terriblement chic. Il a inscrit ses rues dans une géographie cinéphile, prouvant qu’il n’y a pas besoin de paillettes pour marquer les esprits. Juste d’un peu de neige, de beaucoup de dialogues et de l’élégance d’un doute.

Film : Ma nuit chez Maud
Sortie : 1974
Réalisateur : Eric Rohmer
Acteurs Principaux : Jean-Louis Trintignant, Françoise Fabian, Marie-Christine Barrault
Genre : Drame